portrait michel corvin       daniel lemahieu2

 

Si la Maison d'Europe et d'Orient existe, c'est bien sûr en premier lieu parce que le public la fréquente, parce que des équipes la défendent, et aussi parce que de hautes personnalités la soutiennent et la protègent. Parmi ces personnalités, deux d'entre elles avaient particulièrement marqué notre travail, bien sûr parce que leurs activités, autour des dramaturgies en Europe, croisaient les nôtres. Nous n'apprendrons rien à ceux qui connaissaient Michel Corvin et Daniel Lemahieu : le génie de la curiosité, de la découverte, de l'écoute était en eux. Leur envoyer des textes était un bonheur tant on était certain qu'ils seraient lus, analysés, décortiqués, et compris. On les aimait aussi parce qu'ils étaient honnêtes et sincères, lucides et impitoyables.

J'étais tombé sur Michel rue Gaston Baty, à la sortie de son dictionnaire, et nous avions disserté sur les lacunes que le mur effondré exposait désormais à tous. "Au boulot, mon p'tit gars !" La sanction n'avait pas tardé. Il ne triait pas ses sources à la brillance du label. Michel était des ultras du comité francophone d'Eurodram, et fort peu de textes lui échappait. Il nous avait confié la préparation d'une partie des travaux de son anthologie critique des auteurs dramatiques européens. Son dernier préféré était d'Asja Srnec Todorovic, Effleurement. L'humour désinvolte de Lasha Boughadzé l'amusait beaucoup aussi. Il était encore parmi nous il y a quelques semaines pour le trentième anniversaire de la MEO, en pleine forme... Michel venait de nous signer une préface pour le Maïdan inferno de Neda Nejdana. On pourra la trouver ici.

Daniel avait été mon professeur, et puis nous avions convenus d'aggraver notre cas. Confier une dramaturgie à Daniel aurait pu être la promesse de repartir piteux de sa crasse ignorance. Mais non, il y avait tellement de générosité, qu'on repartait séance tenante braquer la première librairie venue. Entre rebelles tchétchènes et pommes biélorusses, nous avions embarqué Daniel au Kosovo en 2003, pour l'atelier d'écriture du Voyage en Unmikistan, qui nous avait permis de découvrir Jeton Neziraj. Jeton nous répétait récemment encore combien cet atelier avait été important pour lui et pour toute une génération de dramaturges. Il n'y avait pas meilleur moteur de recherche que sa lecture. Lors d'une session de Sud-Est, Daniel nous avait lu tous les personnages de ce Voyage, avec dialogues et didascalies, apartés et commentaires, un pur moment. Après Roubaix il avait choisi de célébrer la partie parisienne de ses 50 ans de théâtre à la MEO à l'automne prochain. Daniel nous avait signé une préface pour Au-dessus de la plaine de Claire Gatineau. On pourra la trouver .

Deux monstres sacrés viennent de prendre congés. Mais il ne sont pas prêts de nous quitter. Parce que, comme dirait Danièle, notre cheminée d'usine ne mourira jamais.


Dominique Dolmieu & l'équipe de la MEO.